L'idée d'Adrien Helvétius consiste à regrouper dans de grandes boîtes, faciles à expédier en province, un ensemble très complet de trois cent cinquante-trois « prises », susceptibles de faire face à toutes les éventualités. Conformément à la notice imprimée jointe à la boîte, il faut d'abord saigner le malade deux ou trois fois, puis utiliser, selon le cas, les prises de poudre vomitive « dans le commencement de toutes les maladies où les vomitifs sont indiqués », celles de poudre fébrifuge purgative dans toutes les fièvres intermittentes, celles de pilules purgatives universelles « dans les fièvres continues, malignes, ardentes, pourpreuses, etc. » celles de pilules hydragogues purgatives dans les hydropisies, celles de poudre spécifique d'ipécacuana dans « les cours de ventre, flux de sang, dysenteries », celles de poudre de corail anodine dans les coliques bilieuses et douleurs néphrétiques, celles enfin de pâte sudorifique dans les vraies et fausses pleurésies. En outre, chaque boîte contient une fiole d'or potable pour les « apoplexies, léthargies, fièvres malignes et pestilentielles », une fiole d'élixir thériacal pour la petite vérole et la rougeole, une fiole de quintessence d'absinthe pour les vomissements et deux onces de thériaque. La notice fournit de plus les précisions suivantes : « On trouvera dans le nombre de ces remèdes de quoi combattre toutes les maladies qui surviennent le plus fréquemment. Ces remèdes sont en petit volume; ils peuvent être aisément transportés et ne se gâteront point, pourvu qu'on les tienne dans un lieu sec et frais, et bien enveloppés. Chaque espèce de remède est étiquetée et accompagnée de plusieurs mémoires instructifs, pour guider le distributeur et le malade même.

un préparateur en pharmacie... La taille du pilon et du mortier laisse à entendre l'importance croissante de l'usage des médicaments et de la clientèle des apothicaires au XVIIIe siècle.


Les doses y sont exactement marquées suivant l'âge, les forces et le tempérament. Il ne s'agit que de recommander à ceux qui les distribueront, de lire exactement les mémoires pour faire une juste application des remèdes. »

À la mort d'Adrien Helvétius, en 1727 son fils Jean-Claude-Adrien, docteur-régent de la faculté de médecine de Paris et premier médecin de la reine, est chargé à son tour de la composition et de l'envoi aux intendants des « remèdes du roi ». Son cousin Diest lui succède en 1756, puis Lassone en 1762. En fait, l'initiative d'Helvétius connaît, à partir de 1740 environ, une importante limitation : les boîtes de remèdes ne seront distribuées gratuitement aux paroisses de la campagne que lorsque celles-ci seront victimes d'une maladie épidémique. Dans un tel cas, l'intendant réclame des boîtes d'Helvétius au contrôleur général, s'efforce de coordonner les efforts entrepris sur place, accorde des secours en aliments ou en argent, promet éventuellement des dégrèvements d'impôts. Cette intervention, inégale selon les provinces et le plus souvent sporadique et insuffisante, se renforce considérablement vers 1750 avec la nomination, dans chaque intendance, d'un « médecin correspondant des épidémies », chargé, sous l'autorité de l'intendant, de jouer le rôle que celui-ci tentait d'assumer jusque-là. Peu à peu l'institution se met en place dans toutes les provinces, et les attributions i du médecin correspondant se précisent et se renforcent à la lumière de I l'expérience.

Vers 1770, le système est au point et fonctionne presque partout de la même façon. Lorsque, dans une paroisse, la brutale augmentation des décès et les conditions dans lesquelles ils surviennent peuvent laisser penser qu'il s'agit du début d'une maladie épidémique, le curé de la paroisse doit  immédiatement avertir par lettre le subdélégué, qui, éventuellement alerté  par d'autres curés voisins, écrit sans tarder, par l'intermédiaire de l'intendant, au médecin correspondant. Celui-ci entre en relation avec le médecin le plus proche du lieu suspect et l'invite à s'y rendre afin d'attester de l'existence d'un mal réellement épidémique de poser un diagnostic et de prescrire les
remèdes appropriés. Le ou les chirurgiens résidant dans la paroisse ou dans les paroisses voisines sont chargés d'appliquer sur place ces prescriptions tout le temps qui sera nécessaire. Les frais engagés sont pris en charge par l'intendant, qui réclame, en contrepartie, de son médecin correspondant, des comptes exacts par paroisse : journées de médecin ou de chirurgien, remèdes et aliments distribués. Cette prise en charge ne s'étend théoriquement qu'aux malades pauvres.


La création de la Société royale de médecine en 1776-1778 marque une nouvelle étape dans l'intervention de l'État en matière de santé publique.

Déjà, en 1730, Pierre Chirac, premier médecin de Louis XV, avait songé à créer une société médicale placée sous le patronage du roi. Elle aurait compté vingt-quatre membres chargés d'entretenir avec leurs confrères de province une correspondance leur permettant d'établir un véritable bilan sanitaire et de proposer éventuellement des mesures, d'autant plus efficaces qu'elle seraient coordonnées.

Toutefois, ce que les médecins envoyés sur place découvrent souvent avec effarement dans ces paroisses rurales, parfois proches d'un centre urbain, c'est une misère structurelle presque désespérante : alimentation insuffisante et mal équilibrée, hygiène lamentable, préjugés tenaces. Que peuvent-ils faire devant pareille situation !!

Certes, l'utilisation, depuis les années 1700, de la racine d'ipécacuana dans le traitement de la dysenterie constitue un incontestable progrès; mais le remède est encore mal codifié dans sa préparation, et sa posologie se révèle souvent inefficace. Il en est ainsi, en 1779, de l'avis de la plupart des médecins dut doivent se rabattre sur vomitifs, purgatifs et saignées. Or, de tels remèdes ne peuvent être que de peu d'effet ; encore heureux si, appliqués à des malades affaiblis ils ne hâtent pas leur fin. En fait, lors des épidémies de dysenterie, c'est en imposant aux malades les moins atteints une diète contrôlée que les médecins réussissent à en sauver un certain nombre, non en les saignant ,mais en les purgeant.  D'une façon plus générale, c'est surtout au plan de la prévention que leur action tenace porte ses fruits : en prescrivant à tous des mesures d'hygiène, en isolant les malades, en imposant aux convalescents un strict régime alimentaire, surtout en distribuant aux habitants encore indemnes bouillons pain et viande, ils peuvent espérer limiter la contagion et éviter les récidives. Mais encore leur faut-il convaincre ceux-là mêmes qu'ils veulent sauver.

Or, à lire aujourd'hui leurs rapports, on a l'impression d'un dialogue de sourds. Hommes des  Lumières , venus de 1a ville, ils parlent un langage incompréhensible à ces paysans qui sont habitués à régler entre eux leurs  problèmes et qui refusent, par méfiance invétérée, et parfois justifiée, les remèdes et les régimes proposés et s'en tiennent avec obstination à leurs manières de vivre et à leurs intermédiaires habituels.

 En 1779, dans les villages les plus gravement atteints, le nombre des malades est tel et la peur qu'inspire l'extrême contagiosité est si grande que les vieux réflexes des temps de peste reparaissent. Michel Vétillart du Ribert, médecin du Mans envoyé au début  d'août dans les paroisses contaminées du haut Maine, décrit en ces termes i le spectacle qu'il découvre : « Lors de mes premières visites, j'ai trouvé la  plupart des malades sur la paille, plusieurs exposés aux injures de l'air. Hors  d'état de se nettoyer eux-mêmes, ils étaient contraints de rester dans leur  fange. L'air corrompu qu'ils respiraient ajoutait beaucoup au danger de la maladie et devenait une source d'infection pour ceux qui les approchaient. La contagion se propageait sensiblement. La crainte du mal éloignait les voisins, les parents. L'argent ne tentait pas ceux qui en avaient le plus besoin,j'ai offert dix fois plus que je n'aurais donné en toute autre circonstance poursecourir et pour nettoyer certaines maisons, ni mes invitations ni mon offre n'ont tenté personne. 

Aux uns par l'alembic je purge la cervelle,/Aux autres l'intestin par un gros robinet .. Ainsi palabre ce nouveau Diafoirus, tandis que son patient distille des fantasmes. Lagniet caricature une médecine mal perçue et largement impuissante devant la maladie, qu'elle soit mentale ou d'aune nature.